CRISPR-Cas9 : réécrire le code de la vie pour guérir demain
Des ciseaux moléculaires pourront potentiellement changer la vie des êtres humains dans les prochaines années. En effet, CRISPR-Cas9 est un outil d’ingénierie génétique inspiré du système immunitaire d’organismes invisibles à l’œil nu, les bactéries (1). Il permet de modifier l’acide désoxyribonucléique aussi appelée ADN. Cette aptitude de modification lui permet d’être très utile aux scientifiques œuvrant dans les domaines médicaux, alimentaires et environnementaux. Toutefois, une mauvaise compréhension ou utilisation de cette technologie pourrait amener à de lourdes conséquences telles que les maladies graves (p. ex. : des cancers)(1).
Avant de s’attarder sur ces potentielles dérives, il est important de bien comprendre l’origine du système CRISPR-Cas9. Ce dernier est composé de deux éléments principaux. Le premier élément regroupe les « clustered regularly interspaced short palindromic repeats (CRISPRs) », qui sont des séquences d’ADN répétées provenant de la bactérie Escherichia coli et découvertes en 1987 par un laboratoire japonais (1). Les années 90 ont ensuite amené la découverte de ces mêmes motifs dans un virus infectant les bactéries, ce qui a conduit à l’hypothèse d’un possible rôle immunitaire (2). Cette hypothèse fut ensuite confirmée dans les années 2000 par la caractérisation de la deuxième portion du puzzle, Cas9, une paire de ciseaux moléculaires pouvant reconnaître et couper entre ces régions (2). Enfin, dans les années 2010, des chercheurs ont réussi à reproduire ce système en laboratoire, en l’adaptant pour éditer l’ADN humain à l’aide de certains types d’ARN (2).
Figure I. Ligne du temps de l’évolution de la technologie CRISPR-Cas9 des années 1987 à 2024 (3).
Dans la nature, le système CRISPR-Cas9 permet à certains micro-organismes comme les bactéries de se défendre contre une attaque virale (4). En effet, lors d’une infection d’une bactérie par un virus, Cas9 coupe un fragment d’ADN virale, puis celui-ci est inséré entre deux régions CRISPR constituant ainsi une mémorisation du passage virale (4). Si le même type de virus tente à nouveau une infection, la bactérie le reconnaitra et convertira ce fragment d’ADN en une molécule d’ARN qui « guidera » Cas9 vers l’intrus permettant ainsi sa destruction. Chez l’humain, même si nous ne possédons pas ces régions, les scientifiques ont su s’inspirer de son origine bactérienne afin de recréer le mécanisme en laboratoire. Celui-ci peut se diviser en 3 parties : 1) la reconnaissance du gène par Cas9 à l’aide d’un ARN guide; 2) le découpage de l’ADN associé au gène par Cas9 et 3) a) la réparation ou b) l’insertion d’un nouveau gène (4).
Figure II. Mécanisme de la technologie CRISPR-Cas9 montrant la reconnaissance du gène de Cas9 à l’aide de l’ARN guide (gRNA) (1), le découpage du gène par Cas9 (2) et les étapes de réparation (3a) ou d’insertion d’un nouveau gène (3b).
L’étape de reconnaissance du gène se déroule par la création d’un ARN guide (gRNA) spécifique à un gène en particulier (4). L’ARN guide comme pour les bactéries, amène alors Cas9 au gène d’intérêt qui le coupe laissant un trou dans l’information génétique de la cellule. Enfin, vient la dernière étape ou deux possibilités subsistent. D’une part, il peut y avoir réparation du segment coupé ce qui entraîne parfois des erreurs désactivant le gène précédemment supprimé. D’autre part, si les scientifiques avaient ajouté un autre morceau d’ADN provenant d’un gène quelconque parmi le mélange initial, la cellule pourrait l’intégrer dans son éventail d’information génétique créant alors un nouvel organisme génétiquement modifié (OGM)(4).
Une fois le mécanisme de CRISPR-Cas9 connu, les applications sont assez larges. En effet, en agriculture, il permet aux plantes de mieux résister aux maladies et d’augmenter leur apport nutritionnel (5). Puis, en médecine, il permet de comprendre la cause de certaines maladies comme le VIH et l’anémie falciforme et ainsi développer des traitements appropriés (5). Beaucoup d’autres applications dans le secteur environnemental sont également soulignées. Malgré toutes ces formidables applications CRISPR-Cas9 reste un outil qui comporte également son lot de risques. En effet, un des aspects les plus cités parmi les scientifiques est son enjeu de spécificité (1). Une mauvaise spécificité (« off-targets ») pourrait potentiellement provoquer des mutations mortelles. Par ailleurs, certaines conditions éthiques sont aussi soulevées : jusqu’où peut-on aller dans la modification d’information génétique humaine (1) ?
Bref, le système d’édition de l’information génétique, CRISPR-Cas9 est un outil révolutionnaire qui deviendra assurément essentiel dans les prochaines années en raison d’enjeux mondiaux tels que les pandémies et la malnutrition. Toutefois, certains risques et conditions éthiques peuvent laisser penser que nous ne sommes pas près de voir arriver la naissance de superhumains tels que Captain America.
Références :
1. Gostimskaya I. CRISPR–Cas9: A History of Its Discovery and Ethical Considerations of Its Use in Genome Editing. Biochem Biokhimiia. 2022;87(8):777‑88.
2. @broadinstitute [Internet]. 2015 [cité 14 juin 2025]. CRISPR Timeline. Disponible à: https://www.broadinstitute.org/what-broad/areas-focus/project-spotlight/crispr-timeline
3. WhatisBiotechnology.org [Internet]. [cité 14 juin 2025]. WhatisBiotechnology • The sciences, places and people that have created biotechnology. Disponible à: https://www.whatisbiotechnology.org/
4. How CRISPR lets you edit DNA - Andrea M. Henle [Internet]. 2019 [cité 14 juin 2025]. Disponible à: https://www.youtube.com/watch?v=6tw_JVz_IEc
5. Ansori ANM, Antonius Y, Susilo RJK, Hayaza S, Kharisma VD, Parikesit AA, et al. Application of CRISPR-Cas9 genome editing technology in various fields: A review. Narra J. août 2023;3(2):e184.
*Les figures ont été générées à l'aide du logiciel Biorender : Scientific Image and Illustration Software | BioRender