Le cancer module l’activité du système nerveux pour proliférer
L’exploration du rôle de l’activité neuronale a permis de l’établir comme un régulateur crucial dans la progression des cancers. En effet, les tumeurs cérébrales, appelées gliomes, se développent à partir de cellules gliales comme les astrocytes, des cellules de soutien du système nerveux central. La progression s’opèrerait principalement à travers deux mécanismes. Le premier est paracrine : une cellule agit sur celles avoisinantes via la sécrétion de molécules effectrices; puis le second correspond à l’intégration électrochimique des cellules malignes grâce aux intéractions gliome-neurones.
L’influence pathobiologique du système nerveux s’étendrait sur plusieurs types de cancers, notamment le cancer de la peau, du sein, du pancréas, puis principalement sur le cancer du poumon à petites cellules (SCLC = Small Cell Lung Cancer). Il est connu pour métastaser, autrement dit migrer dans le cerveau, avec plus de 15% des patients développant cette tumeur. Les chercheurs ont pu démontrer le rôle de l’activité neuronale dans la pathogenèse du SCLC en différentes étapes regroupées en quatre parties ci-après.
Premièrement, l’interruption de la signalisation entre le cerveau et les poumons a permis d’étudier le rôle de la signalisation neuronale dans la pathologie. Les nerfs ont la capacité d’envoyer leurs fibres vers des organes pour transmettre des informations nerveuses. Cette connexion fonctionnelle entre le système nerveux et la structure réceptrice se nomme « innervation ». La connexion entre les nerfs vagus reliant le cerveau aux poumons impacterait la formation de tumeurs dans la mesure où les sujets expérimentaux dont les nerfs ont été coupés n’en ont développé aucunes ou très peu contrairement aux sujets dont les nerfs étaient intacts. De plus, l’innervation serait plus cruciale dans l’initiation et le développement du SCLC que dans la maintenance de la tumeur déjà formée.
Deuxièmement, l’analyse des neurofilaments grâce à la coloration des interactions anticorps-antigène a permis d’observer la présence de marqueurs protéiques spécifiques aux tumeurs (immunohistochimie). Les tumeurs se mêleraient alors aux axons des neurones pour proliférer, suggérant le rôle fonctionnel des interactions neurone-SCLC. Conséquemment, les tumeurs se développeraient plutôt en périphérie des zones riches en neurones que dans les zones de faible densité. Ensuite, l’étude de la sécrétion des neurotransmetteurs GABA et glutamate a permis de préciser les interactions avec les cellules malignes. Ces neurotransmetteurs sont notamment corrélés à la prolifération des cellules SCLC. En effet, l’ajout d’inhibiteurs des récepteurs neuronaux a réduit la croissance tumorale appuyant l’implication des neurones GABAergiques et glutamatergiques dans la réponse proliférative à l’activité neuronale. De plus, la signalisation serait réalisée d’une part via des facteurs paracrine, d’autre part via la communication synaptique.
Troisièmement, le contact entre les synapses, soit la neurotransmission synaptique, engendrerait la dépolarisation de la membrane des cellules SCLC. Le potentiel électrique de la membrane du neurone au repos, donc lorsqu’il ne reçoit ou ne transmet aucune information, est à environ -70 mV. Lors de la dépolarisation, le potentiel électrique entre l’intérieur et l’extérieur du neurone diminue. Ce phénomène s’observe suite à l’entrée d’ions Ca2+ ou Na+ . La visualisation du courant électrique médié par les neurotransmetteurs GABA et Glutamate dans les cellules SCLC a permis de montrer leur rôle dans la circulation de calcium au sein des cellules malignes, induisant la dépolarisation membranaire. Ce changement de potentiel électrique influencerait également la prolifération tumorale.
Dernièrement, les gliomes s’étant développés à partir d’astrocytes, des neurones sensibles aux changement de potentiels, sont capables de créer un microenvironnement neuronal hyperexcitable. Leur surexpression chez les patients possédant des métastases cérébrales s’expliquerait par l’induction d’hyperexcitabilité neuronale et l’augmentation des connexions synaptiques. Ces observations suggèrent ainsi que les cellules malignes possèderaient la capacité de moduler et renforcer leurs interactions avec les neurones cérébraux grâce au changement de potentiel électrique.
Cette étude met finalement en lumière l’implication du système nerveux dans la croissance du cancer et délivre des pistes pour la mise au point de futures thérapies. De nombreux facteurs contribueraient à la prolifération tumorale dont l’innervation, l’activité neuronale induisant la signalisation par le GABA et le glutamate, la dépolarisation membranaire, puis la modulation des intéractions SCLC-neurones par les métastases cérébrales. La compréhension des voies de signalisation favorisant la formation, la croissance et la colonisation d’autres tissus par les tumeurs est ainsi cruciale dans la mise au point de traitement. Justement, le leveteracetam, un médicament interférant avec la libération de vésicules synaptiques, essentiels à la signalisation neuronale, a permis de réduire expérimentalement la prolifération des cellules malignes. Une thérapie prometteuse pour ce cancer consisterait donc à déstabiliser les interactions SCLC-neurones dans les poumons et le cerveau. Cette stratégie serait également adaptable aux autres cancers métastasant au cerveau.
Références :
Savchuk S, Gentry K, Wang W, Carleton E, Yalçın B, Liu Y, Pavarino EC, LaBelle J, Toland AM, Woo PJ, Qu F, Filbin MG, Krasnow MA, Sabatini BL, Sage J, Monje M, Venkatesh HS. Neuronal-Activity Dependent Mechanisms of Small Cell Lung Cancer Progression. bioRxiv [Preprint]. 2023 Jan 20:2023.01.19.524430. doi: 10.1101/2023.01.19.524430. Update in: Nature. 2025 Sep 10. doi: 10.1038/s41586-025-09492-z. PMID: 36711554; PMCID: PMC9882339.